Subventions et Choix Publics
Pas de réforme anticipée pour la Caisse de Compensation. C’est ce qui me semble être le consensus issu du comportement des consommateurs et producteurs de notre économie.
En l’état, la justification de l’existence du système actuel de compensation est double: d’une part elle protège le pouvoir d’achat de tous les ménages, et d’autre part, elle sert de police d’assurance que le principal moteur de croissance de l’économie marocaine, la consommation finale des ménages, sera toujours prêt à assurer sa mission.
Or ces deux objectifs sont antinomiques avec d’autres paramètres que nos dirigeants doivent aussi prendre en compte: le pouvoir d’achat, tel qu’il est défini ne permet pas de prendre en compte les disparités créées ou exacerbées par une mauvaise distribution de ces subventions, et la vigueur de la consommation finale intérieure se fait au détriment de la position nette extérieure du Maroc, une faiblesse fatale pour notre économie.
Il y a cependant plus pernicieux que la logique sommes toutes comptable de ces choix contradictoires: tant que la crédibilité des plans de réforme de la caisse de compensation ne sera pas consacrée, les agents, ménages et producteurs, agiront toujours de la même sorte; pour les ménages, l’évolution permanente d’une croissance attendue se répercutera sur les décisions de consommation future, laquelle augmentera toujours à un rythme plus élevé que celui des revenus. A titre d’exemple, les disparités de niveaux de vies et les attentes subséquentes de la classe moyenne pour imiter les foyers les plus favorisés seraient des facteurs explicatifs quant au faible déclin de la propension agrégée de la consommation dans la production.
Ceci est particulièrement vrai pour la consommation en énergies fossiles: alors que le Maroc est un petit pays émergent non producteur de pétrole, notre dépendance aux produits dérivés d’hydrocarbures s’accroît ou se maintient à des niveaux nocifs, comme le montre le graphe ci-dessous:
Il est donc légitime de se poser la question: si effectivement la Caisse de Compensation existe pour stabiliser le niveau de vie des ménages, son maintien sans réformes structurelles n’a-t-il pas influé sur nos comportements de consommation et de production, factorisant un prix de production (ou de vente) assez faible pour neutraliser toute incitation à devenir plus économe, ou efficace en matière de consommation (finale ou intermédiaire) d’énergie.

La persistance de la baisse des prix d’énergie est un argument en faveur de l’amélioration de la productivité comme outil de réforme
Pour illustrer Cet argument, considérons le comportement des prix des biens énergétiques lorsqu’une innovation est brièvement introduite dans notre économie, une innovation qui permet à l’ensemble de l’appareil productif domestique de devenir plus efficace. Une hausse de productivité signifie une baisse du coût de production, y compris celui des biens énergétiques (ici représentés par des mesures d’utilisation des dérivés d’hydrocarbures) le mécanisme de compensation tel qu’il est appliqué actuellement agira aussi à la baisse, allégeant ainsi les finances publiques.
Le graphe ci-contre montre d’abord que l’argument initial est valide (la subvention altère les comportements des agents) et que la principale voie d’une réforme allant dans le sens d’une abolition de la Caisse de Compensation telle qu’elle existe actuellement est de pousser vers un renouvellement rapide de l’appareil productif vers une consommation intermédiaire plus efficace des intrants d’énergie. D’un autre côté, le même résultat donne une idée du manque d’incitations auprès des opérateurs bénéficiant de la subvention à exécuter cette recommandation: en effet, et si l’on suppose une indexation de la marge de cet opérateur sur la subvention reçue et le prix annoncé, une hausse de productivité, même temporaire, résulterait d’une baisse simultanée de cette marge. Ceci expliquerait pourquoi, si la Caisse de Compensation est coûteuse et socialement injuste, elle continue de perdurer; simplement, un nombre important d’agents en bénéficient, et une réforme allant dans le sens d’une réduction de ce bénéfice n’est pas souhaitable.
Education: Sommes-Nous sur le Bon Chemin?
Je suis partisan absolu de l’idée que sur certains aspects de leurs visions respectives de notre destin, ‘nihilistes’ et Makhzen, les similitudes sont extrêmement frappantes; certes, elles ne s’enracinent pas dans les mêmes motivations -politiques ou autres- mais enfin c’est probablement un point à discuter, surtout lorsque celui-ci débouche sur des résultats assez décevants, au regard des moyens déployés, ou lorsqu’on compare les résultats aux objectifs initiaux. Un des domaines de politique consensuelle est sans contexte l’éducation des générations futures.
Rien, à priori ne semble concilier les différentes moutures présentées par l’administration depuis l’indépendance avec la revendication d’une éducation démocratique, démocratisée et populaire. Au contraire, certaines politiques contemporaines visaient même à s’éloigner d’un tropisme jacobien et centralisateur, notamment l’idée de créer des académies régionales avec des prérogatives conséquentes, un pas que nous devions franchir dans la première décennie de notre indépendance, ne s’est imposé que récemment.
Au-delà des interrogations légitimes quant à l’efficacité des enseignements dispensés dans notre système éducatif, primaire ou supérieur, c’est le choix de politique publique de centralisation qui à discuter; c’est aussi l’idée même non pas de service public en elle-même, mais de gestion du curriculum sous tutelle ministérielle. Est-il possible qu’à aucun moment la question suivante ne se serait jamais posée: mais quel type d’éducation les parents souhaitent-ils inculquer à leur progéniture? L’idée-même d’un cursus uniforme sur tout le territoire marocain, niant pendant longtemps et les caractéristiques hétérogènes locales, et la volonté des parents à voir leurs enfants étudier telle ou telle matière, cet uniformitarisme grisâtre est en complète contradiction avec le principe de base de ceux se réclamant du principe philosophique de la démocratie: l’individu est rationnel dans ses choix pour désigner son représentant politique, il serait évident d’étendre ce raisonnement aux choix d’éducation pour sa progéniture. On peut supposer sur la base de son comportement historique que cet intérêt pour le bien-être individuel ou communautaire ne figure pas sur la liste de priorités de nos autorités (centrales ou locales) mais pour ceux qui sont supposés incarner l’espoir d’une alternative meilleure en termes de gestion du bien public, le nihiliste pèche aussi par excès de centralisme, convaincu par la nécessité de centraliser la politique éducative, celle-ci étant trop précieuse.
Je me permets de faire cette généralisation abusive car je doute lire quelque part une proposition allant dans le sens, non pas d’une privatisation complète du système éducatif marocain dans la dualité actuelle, mais plutôt en introduisant des bons à l’éducation comme outil de subvention aux dépenses des ménages, lesquels éduqueront leurs enfants en communauté par affinités de choix éducatifs. Le système en lui-même sera effectivement privatisé, mais seulement dans le sens où les individus et les communautés seront en charge de définir le détail du curriculum de leurs enfants. On notera que ce type de politique n’est valable que pour les étapes primaires et secondaire du curriculum scolaire, comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin.
La raison pour laquelle cette décentralisation des choix de développement du capital humain peut être préférable est qu’elle oblige en quelque sorte les agents (ici les parents d’élèves et écoliers) à montrer leurs préférences; je veux ici qu’un système éducatif centralisé est une sorte d’assurance pour les parents: en échange d’un sacrifice de leurs préférences propres, ceux-ci sont assurés d’obtenir pour leurs enfants un tampon assez crédible pour la formation qu’ils reçoivent. Ce qui était vrai il y a quelques décennies le devient de moins en moins, ce qui expliquerait peut-être la profitabilité du système parallèle d’enseignement privé: le curriculum est similaire, et pourtant les parents, si le choix leur est donné (et les moyens disponibles) choisiraient le second plutôt que la formule publique, puisque l’assurance commence à montrer ses faiblesses. Lorsque les individus et communautés décident d’eux-mêmes du contenu des cours dispensés à leurs enfants, leurs préférences se traduiront par ce que les professionnels de l’éducation pourront produire comme cursus personnalisé. Et ainsi, on passe d’une logique de service public gratuit, mais médiocre et uniforme, à un service public symboliquement payant, mais admettant suffisamment de variété en son sein pour attirer les usagers éventuels. Certes, on peut toujours arguer que les parents ne sauront pas faire systématiquement les bons choix pour leurs progénitures, mais ce serait être arrogant et paternaliste que de croire choisir pour eux, au lieu de décider avec eux ce qu’il y a de mieux pour les générations futures.

Rendements décroissants pour les trois niveaux d’instructions, mais le faible niveau initial de l’enseignement primaire pointe vers un échec potentiel (rendement intrinsèque faible par l’effort initial et la vitesse d’accumulation)
Peut-on mettre des chiffres sur cette orientation hétérodoxe d’éducation? Il nous faut d’abord considérer que si les dépenses par élève/étudiant ont baissé sur les quarante dernières années, ce n’est pas par faute de négligence: les rendements à l’éducation sont décroissants par définition (pour un pays comme le Maroc en tout cas) mais le taux de rendement en lui-même exhibe assez d’hétérogénéité pour déterminer le degré de liberté admise dans la gestion localisée de l’éducation primaire et secondaire. Remarquons qu’il s’agit de dépense en PIB par étudiant ou élève: il est normal d’anticiper que la cohorte de 1974 coûte plus que celle plus récente, ne serait-ce que par la longévité du capital fixe utilisé (les établissements scolaires) et celle de l’autre capital humain (les professeurs et autres membres et cadres de formation) dont les rendements respectifs sont décroissants. Ce que l’on peut voir de ce graphe:
Alors que l’effort de dépenses en éducation primaire a été historiquement bien plus élevé que les autres composantes de notre système éducatif, ses rendements se sont avérés trop faibles, probablement à cause du niveau d’effort initial, en effet, augmenter les dépenses d’éducation primaire par écolier n’était pas possible, non pas par manque de moyens, mais parce que le choix d’uniformité impliquait une base de départ plus faible.
Le calcul de ces rendements décroissants découle de l’hypothèse que ce rendement conditionne celui des perspectives de croissance du salaire obtenu lorsque les jeunes générations intègrent le marché de l’emploi: alors qu’il est compréhensible qu’un simple certificat d’études primaires obtiendrait un salaire perpétuel (en tout cas jusqu’à la décision de départ en retraite, ou de sortie permanente du marché du travail) le niveau de rendement est tellement bas que la deuxième hypothèse est que l’institution actuelle n’alloue pas suffisamment de ressources pour augmenter ce rendement. L’équation standard pour illustrer cet effet sur le capital humain est comme suit:
(le coût marginal d’une année supplémentaire dans le niveau d’instruction i au rendement est égal à l’accroissement dans le salaire attribué à cette année et à ce niveau d’instruction)
Dans l’absolu, les résultats découlant de cette décentralisation poussée du mode d’éducation est assez difficile à argumenter en termes de projections d’amélioration des capacités scolaires des jeunes marocains (ou alors avec des données plus détaillées) mais c’est une manière d’argumenter le bénéfice potentiel de cette politique comme étant certainement capable de générer plus de succès que le résultat actuel.
The Fault, Dear Brutus…
Il est difficile de prétendre que les termes du débat public sont monopolisés par un seul point de vue lorsqu’on parle de réforme de la compensation: en fait, l’existence même du consensus quant à la réforme de la Caisse de Compensation semble étouffer sa réalisation – encore que dans la bouche du MAGG Najib Boulif, cette réforme semble, à terme, enterrée. Et pourtant, les recommandations du FMI, les engagements même émis par l’administration publique et les mises en garde qu’elle se donne sont la meilleure preuve que, dans les mots de la Dame de Fer: “There is No Alternative”.
Prenons d’abord un paragraphe important dans le rapport annexe de la Loi de Finances 2013 traitant des subventions:
En guise de conclusion, les dépenses de la compensation continueront de peser lourdement sur le budget de l’Etat, pour la période 2013-2016, et si aucune mesure n’est prise, la charge prévisionnelle de compensation pourrait atteindre plus de 200 milliards de DH contre près de 123 milliards au titre de la période 2009/2011.
En rapportant ce chiffre aux prévisions de croissance publiées dans les dernières communications du FMI (élaborées donc avec l’aide d’officiels du ministère des finances, du MAGG et de Bank Al Maghrib) cela signifie qu’une croissance moyenne de 3% des dépenses de subvention résultera d’un poids légèrement supérieur à 5% du PIB, soit plus que le déficit prévu d’ici 2016, et certainement plus que la limite des 3% (en pourcentage de PIB) permettant de contrôler l’évolution de ce poste de dépenses.
Et en mettant côte à côte les chiffres de la compensation (non réformée) et les promesses de réduction de déficit d’un côté, et des projections de recettes de l’autre, on observera que le coût comptable de la non-réforme est l’équivalent de d’une moyenne de 15 Milliards de dépenses à réduire dans d’autres comptes du Budget (coucou les investissements publics)
Mais pour être honnête il ne s’agit pas de chiffres. Je souhaite discuter d’autres éléments, probablement plus qualitatifs qui permettent de mettre la question de la réforme en perspective. C’est d’ailleurs un exemple de ce que je ne partage absolument pas avec mon camp idéologique – une approche tribunitienne à la chose économique qui ne fait qu’excessivement aliéner des pans de la société marocaine dont l’alliance est probablement utile, et jette un doute permanent quant à la compétence de ce camp à présider au destin économique de ce pays, notamment en se libérant de la doxa ambiante, mais aussi, probablement surtout, comprendre la complexité des choix politiques.
Dans ce document intéressant du FMI, je découvre ainsi que si notre gouvernement était vraiment décidé à réformer le système de subvention, les conditions énumérées (lesquelles ont un fondement théorique certain) ne peuvent certainement pas être respectées par ce dernier:
A comprehensive energy sector reform plan. The plan should include clear long-term objectives, an assessment of the impact, and consultation with those affected by it.
A good communications strategy. A strong communications campaign helps generate broad understanding and support for change, and should be undertaken throughout the reform process, emphasizing not just the cost of subsidies but also the benefits of reform.
Phased price increases. Phasing-in price increases and sequencing them differently across energy products can be helpful. Too sharp an increase in energy prices can generate intense opposition. A phased strategy will allow people and businesses to adjust and governments to strengthen social safety nets.
Improved efficiency of state-owned enterprises to reduce producer subsidies. State-owned companies—especially power generation companies—often receive substantial budgetary resources to compensate for inefficiencies in production, distribution, and revenue collection. Improving their operational efficiency can strengthen the financial position of these enterprises and reduce the need for subsidies.
Measures to compensate the poor. It is crucial that those who are hardest hit by the removal of subsidies be compensated from the beginning—for example through targeted cash transfers or coupon schemes.
Depoliticized price setting. Durable reforms require a depoliticized mechanism for setting energy prices and allow the transmission of changes in world prices to domestic prices. Automatic pricing mechanisms can reduce the chances of reform reversal, while price smoothing rules can help avoid large price changes.
En termes de discipline aux règles fixées par lui-même, notre gouvernement est incapable de se montrer crédible auprès des décideurs économiques locaux ou internationaux. Je prends pour exemple la stratégie-surprise adoptée depuis une année (mais elle ne déroge pas à la tradition de comportements similaires) laquelle ne peut pas générer les effets vertueux attendus d’une politique de réformes basées sur des règles préalablement établies. Pour information, la nature vénale du politicien élu joue un rôle important: la vénalité ici est que la majorité parlementaire rejetterait des mesures potentiellement impopulaires car nocives à leurs perspectives électorales.
Ceci dit, l’attitude versatile n’est pas exclusive aux politiciens élus, l’appareil de l’Etat est tout aussi capable d’abandonner les règles qu’il se fixe lorsque son intérêt intrinsèque immédiat est menacé (alors que la même mesure est capable de générer un résultats bénéfique à la communauté sur le long terme) il serait donc déplacé de céder à la tentation de priver le politicien élu d’un dossier sous prétexte qu’il sera timoré face aux retombées impopulaires.
Dans la liste de conditions énoncées plus haut, seul le retrait progressif des subventions semble être l’option envisageable et applicable par nos dirigeants sur le moyen terme. Mais ce faisant, ces décisions se feront aux dépends de deux aspects perçus comme positifs dans l’économie marocaine: la demande interne et l’investissement en infrastructures.
Note: Tableau reprenant le montant de la Compensation sans réforme, dans le contexte d’une réduction d’impôt à 3% du PIB en 2016. La différence de coût représentant la différence en milliards de dirhams que le gouvernement doit réduire en dépenses pour équilibrer la tendance de la réduction du déficit budgétaire.
année | Compensation | Cout Réduction Déficit |
2013 | 49 300 000 000 | 7 158 703 170 |
2014 | 50 779 000 000 | 12 252 888 464 |
2015 | 52 302 370 000 | 17 769 818 806 |
2016 | 53 871 441 100 | 22 673 747 707 |
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